MÉCONNUE, LA MAISON DE BALZAC À PASSY VAUT VRAIMENT LA VISITE.
C’est fou comme avec peu d’objets et dans un lieu modeste dans ses dimensions et son prestige, on peut faire beaucoup ! C’est le pari réussi et remarquablement réussi par la ville de Paris qui, en outre, ouvre les portes de ce musée gratuitement au public. Le tout, admirablement accueilli par le personnel du musée.
Le site est étrange car Passy n’est plus le village que connut Balzac, tout envahi qu’il est aujourd’hui de barres d’immeubles. Vous vous dites en passant la porte de la maison de l’écrivain des Illusions perdues que vous allez être forcément déçu. Comment restituer une ambiance et le souvenir d’un homme de la première moitié du XIXe siècle, dans un environnement totalement différent, dans cette enclave d’une maison avec son jardin, enserrés dans la modernité ?
Peut-être faut-il connaître un peu l’époque et la littérature de nos grands écrivains du XIXe siècle, comme Hugo, Gautier, Sand, Stendhal. Parce qu’étonnamment, le miracle se produit. Pas tout de suite après avoir passé la porte où de grands panneaux remarquablement élaborés, vous accueillent, présentant l’écrivain et sa maison. Doucement, passant de pièce en pièce, vous êtes pris par la présence de cet extraordinaire et terrible observateur de son époque, de ses contemporains, de leurs travers, de leurs petitesses comme de leurs grandeurs. Les panneaux qui se succèdent sont parfaits. Ils alternent l’évocation de la vie quotidienne (comme l’émouvante cafetière qui l’accompagnait tout au long de la journée tandis qu’il travaillait de 12 à 15 heures par jour), de ses amis intellectuels, de ses corrections de textes dont certaines reprenaient presque le texte en entier. Il avait en effet choisi cet appartement pour corriger les dernières épreuves de sa Comédie humaine de 1840 à 1847.
Des noms d’emprunt étaient devenus nécessaires pour échapper à ses créanciers, comme une petite porte qui lui permettait de s’enfuir éventuellement par une autre rue. Pour une précédente maison, à Chaillot, occupée de 1835 à 1838, il avait utilisé un pseudonyme féminin "Veuve Durand", il est désormais "Monsieur de Breugnol".
Le moment culminant de la visite est sans aucun doute le cabinet de travail qu’il habitait des heures et des jours durant. Une toute petite pièce donnant sur le jardin. Point de livres, mais un petit, un tout petit bureau en noyer sur lequel il travaillait. Les dépôts de surplus d’encre que retenait sa plume sont encore visibles (je les ai photographiés). Le fauteuil est là dans son style néo-Louis XIII en vogue à l’époque et pourtant si peu confortable. Et puis, il y a ses fragments de lettres qui émaillent les murs et que les commissaires du musée ont choisi avec talent et précision. Ils redonnent vie à l’homme torturé, plein d’humour et transi d’amour pour cette belle Polonaise, Ève Rzewuski (Mme Hanska) qu’il rencontre brièvement pour la première fois à Neufchâtel (Genève) et qu’il épouse en 1850 avant de mourir cinq mois après. La correspondance qu’ils échangent est une mine infinie de renseignements et de chroniques sur la vie littéraire et mondaine de l’époque.
On ressort de cet endroit ému, transporté dans cet autre monde d’une autre époque, jurant que l’on va reprendre la lecture de son œuvre si dense, si riche, si éternelle par ce qu’elle dit du genre humain. Dans le jardin, l’effet magique a atteint d’autres visiteurs. J’en ai vu certains un livre à la main, dans un coin du jardin, d’autres, assis sur un banc, chaussures retirées et la tête en arrière, regardant le ciel, d’autres encore marchant lentement dans ces quelques mètres carrés de massifs floraux, tentant par la lenteur du pas de s’approprier le lieu. C’est sans aucun doute cela le miracle de l’écriture par des génies. Il vous emporte et vous mène ailleurs ; loin des barres d’immeubles environnantes qui ont alors complètement disparu.